Et si je parlais un peu de mon boulot ?

, par Patrice Freney


L’Éducation Nationale a fait couler un peu d’encre cette semaine. La réforme de notre ministre Luc Chatel, qui veut absolument faire bosser les retraités et les étudiants pour pallier à l’absence de ces feignants de professeurs qui ne foutent rien et sont toujours en vacances, heu pardon, je m’emporte. Je disais donc : pour pallier à l’absence des professeurs dans les établissements scolaires.

Donc, histoire de voir le pourquoi du comment, j’ai pris comme cas concret : le mien.

Enseignant depuis 15 ans en technologie, j’ai pu travailler dans huit établissements différents (uniquement des collèges), et je peux vous affirmer que les conditions de travail sont quasi identiques. Je ne parle que d’un point de vue nombre d’élèves par classe, et heures d’absences.

Comme il est très facile de faire dire n’importe quoi à des chiffres, je vous propose les miens, séparés en deux parties distinctes, les absences des professeurs, et le nombre d’élèves devant un professeur.

Les absences :

Les profs sont toujours absents. Ben voyons ! Une idée bien ancrée, rabâchée sans cesse par les ministres et les journalistes.
Comme me le disait mon principal à table jeudi midi, 80% des absences sont des absences institutionnelles (formations, réunions, sorties scolaires…), restent les 20% restants, arrêts maladies et absences pour convenance personnelle (souvent pour ses enfants malades à garder)…

Pour cette année, cela ne tourne pas vraiment à mon avantage, car j’ai été en arrêt jusqu’aux vacances de la Toussaint, pour cause d’accident. Je tiens à préciser que je suis un bon fonctionnaire, j’ai été accidenté début août, et pas à la fin… :-)

Hormis ce fait exceptionnel, voilà mon agenda des absences :

- Reprise du travail le jeudi 5 novembre 2009
- Mardi 24 novembre (après-midi) : formation informatique
- Mardi 8 décembre (après-midi) : formation informatique
- Vendredi 8 janvier (matin) : j’étais présent pour assurer mes cours, mais pas les élèves, car la neige a empêché les cars de passer. Du coup, comme il y avait une formation sur un nouvel outil informatique, j’y suis allé. Je suis parti en début d’après-midi, n’ayant plus aucun élève pour les heures restantes.
- Mercredi 13 et jeudi 14 janvier (journée) : formation informatique sur notre nouvel outil réseau
- Lundi 18 et mardi 19 (journée) : arrêt maladie pour cause de gastro-entérite
- Jeudi 21 janvier (journée) : grève. Il n’était pas prévu que je la fasse, mais suite à ma gastro-entérite, j’ai préféré rester à la maison au chaud, et perdre ma journée de salaire. Bien m’en a fait !
- Vendredi 12 mars (journée) : grève.

En prévision :

- Mardi 16 mars (après-midi) : formation informatique
- du dimanche 4 au samedi 10 avril : "voyage" scolaire en Angleterre. Deux remarques : partir avec des élèves n’est pas de tout repos, je peux vous le garantir, et encore, pour celui-là, les élèves seront dans les familles le soir, donc nous n’aurons pas à les gérer. Seconde remarque : mon lundi de Pâques et mon samedi des vacances sautent…

Je peux aussi vous parler des journées où j’ai travaillé pour l’Éducation Nationale, hors de mon travail "habituel", mais je les laisse de côté pour cette fois.

Après quelques calculs, voilà MON taux d’absence depuis ma reprise, en novembre, jusqu’à ce jour :
- 12,7 % d’absence (toute absence confondue)
- 6,8 % d’absence (hors formation) pour mon arrêt maladie et mes deux jours de grève.

Voilà donc le résumé de mes absences, et je vous assure, notant tout sur mon agenda, que je n’ai rien oublié.

Pas mal de journées de formation, prises sur mon temps de présence dans l’établissement, mais pas que. Je n’ai pris en compte que mes absences DEVANT les élèves.




Concernant le nombre d’élèves/professeur :

Voici différents calculs, tous aussi justes les uns que les autres, tout dépend du point de vue d’où l’on se place :
- 800 élèves dans mon collège, 50 professeurs ==> 800/50 = 16 élèves/prof
- 800 élèves dans mon collège, 70 personnels éducation (professeurs, CPE, surveillants, administratifs… hors agents de service, qui dépendent du conseil général) ==> 800/70 = 11,5 élèves/profs (profs=personnels éducation pour le ministère et les journalistes)
- Une classe de 30 élèves a environ 10 professeurs ==> 30/10 = 3 élèves/profs et allez, celui-là, c’est le pire… et il ne veut rien dire. C’était pour la démonstration ! :-)

Chiffres du ministère :
- 11 983 311 / 1 048 668 = 11,42 (personnels tous confondus)
- 11 983 311 / 857260 = 13,97 (enseignants écoles, collèges et lycées (public et privé))

Mais ce que ces braves gens du ministère oublient, c’est que nombre de personnels ont le statut d’enseignant sans voir un seul élève de toute l’année, ou sont détachés à mi-temps. Ce sont des personnes qui travaillent dans les inspections académiques, les rectorats, les centres de documentation (CDDP, CRDP, CNDP), les IUFM…
Ne pas oublier aussi que certaines structures ne peuvent pas travailler autrement qu’avec des groupes (enfants en rupture avec le système, les formations professionnelles…).
Attention, dans une très grande majorité des cas, ces personnes participent au fonctionnement de notre grande maison. Ce que je trouve anormal, c’est que ces personnes aient encore le statut d’enseignant, alors qu’ils n’en sont plus. Par contre, on aime bien les faire rentrer dans les statistiques… 11 élèves en moyenne par professeur ! Cool !

Voilà maintenant mes effectifs pour cette année scolaire :
- 6e : 26 + 23 + 25 = 74
- 5e : 26
- 4e : 25 + 24 + 27 + 26 = 102
- 3e : 25 + 26 = 51

Soit un total de 253 élèves pour 10 classes, soit 25 élèves par classe en moyenne.

Voici la répartition :
Pour les 6e, je les vois en classe entière une heure par semaine, et une heure pour chaque groupe toutes les deux semaines.
Pour les 5e, je les vois en classe entière une heure par semaine, et une heure pour chaque groupe toutes les deux semaines.
Pour les 4e, je les vois en classe entière une heure et demie par semaine.
Pour les 3e, je les vois en classe entière une heure par semaine, et une heure pour chaque groupe toutes les deux semaines.

Pour les groupes, on divise simplement la classe en deux. Je me retrouve donc avec des groupes de 12 ou 13 élèves. Même en groupe, je suis à égalité avec les chiffres du ministère !

Pour l’année prochaine, plus de groupes en 3e… Nous avons déjà perdu les groupes en 4e cette année.

Je suis enseignant en technologie, et je bénéficie encore de groupes pour certains niveaux. Chaque année, nous perdons un niveau. Nous nous retrouvons avec des classes entières. Demandez donc à un enseignant de Lettres, de Musique ou d’Histoire-Géographie s’ils ont des groupes… Même les professeurs de Langues Vivantes se retrouvent avec des classes entières. Sur une heure de cours, cela représente environ un temps moyen oral de 2 mn par heure et par élève, à condition de ne faire que cela (pas d’appel, pas de cours à écrire, pas d’exercices écrits à corriger… etc…). Les Français, mauvais en langues ? Normal…

Encore une parenthèse : un enseignant, hors EPS (20 h) et hors agrégé (15 h), doit 18 h devant élèves à son administration. Pour ma part, je suis à 20 cette année.

Cela ne veut pas dire que mon travail s’arrête là, je parle uniquement du temps de présence devant les élèves. Reste du temps à consacrer à la préparation des cours, du matériel (pour ma matière), des corrections (même si je dois l’avouer, elles sont moins contraignantes que dans d’autres matières, mais j’ai plus d’élèves), les réunions en tout genre (de fonctionnement de l’établissement, de fonctionnement pour la matière, commission éducative pour des élèves qui risquent l’exclusion…).



Voilà, cela faisait longtemps que je voulais faire un article dans ce sens. Je me doute bien qu’il ne va rien révolutionner du tout.
L’amalgame est donc facile, et jouer avec les chiffres d’autant plus. C’est surtout cela qui me révolte un peu aujourd’hui. Il est très facile d’être aussi démagogique devant des millions de personnes qui regardent le journal télévisé le soir et qui doivent se dire "Mais il a raison ce ministre, toujours absents, tous des feignants ces profs !"

Pour les envieux qui veulent mes vacances, mes superbes conditions de travail (18h), mon salaire mirobolant (environ 2100 € nets en salaire de base), mes déménagements successifs, mes trajets professionnels non remboursés, et j’en passe, le concours leur est ouvert, qu’ils se dépêchent, bientôt ce seront des étudiants, des retraités, des intérimaires qui feront cours à leurs enfants.

Sources :
http://www.education.gouv.fr/cid195/les-chiffres-cles.html